Une alternative locale qui remplace « à merveille l’huile d’olive »
•Publié le avril 01 2025
« Nos ventes ont augmenté de 60 % en 2024 au Québec par rapport à 2023 », calcule Chantal Van Winden, présidente d’Olimega, qui est derrière la marque Signé Caméline. Le prix de l’huile d’olive est assurément responsable en partie de cette hausse significative.
« Dans le secteur agroalimentaire, on ne voit pas ces chiffres souvent », précise l’entrepreneure à propos de la croissance de ses ventes. Le prix de son huile est resté relativement stable depuis 10 ans. La caméline est une plante oléagineuse qui pousse bien en climat nordique. On en fait de l’huile, comme avec le tournesol, le canola ou le chanvre.
On produit de l’huile de caméline au Québec depuis une dizaine d’années, mais l’ingrédient restait le secret de cuisine d’un groupe d’initiés qui la préféraient à l’huile d’olive, notamment parce que c’est un produit local. Avec la flambée des prix de l’huile d’olive au cours des deux dernières années, le groupe commence à prendre de l’ampleur.
« C’est une alternative locale qui remplace à merveille l’huile d’olive », dit Guillaume Mathieu, cofondateur d’Ilot, une firme de consultation qui accompagne les entreprises bioalimentaires d’ici. « À partir du moment où le prix devient plus intéressant que l’huile d’olive, pour un produit local, je pense que ça peut aider à le faire enfin décoller. »
Une bouteille de 500 ml d’huile Signé Caméline se détaille autour de 18 $, un prix moins élevé que celui d’une huile d’olive de qualité comparable. « Les huiles d’olive de qualité se vendent 10 $ de plus », précise Chantal Van Winden.
PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE
« On aimerait devenir aussi connu que l’huile d’olive au Québec », confie Chantal Van Winden.
L’année dernière, Olimega a transformé 600 tonnes de grains – produits sur ses terres en Montérégie et avec des partenaires du Témiscamingue. Autour de 40 % des huiles partent en exportation, surtout vers l’Asie, où le marché de l’alimentation saine est florissant. En Chine notamment, mais aussi en Corée et au Japon, où l’entreprise commercialise également le tourteau (le résidu du grain après extraction de l’huile) comme supplément pour les chevaux de course nippons ! Un supplément pour les poules urbaines est aussi vendu sur le marché américain, et les huiles Signé Caméline se trouvent également aux États-Unis, chez Whole Foods et sur Amazon.
Une huile d’ici
Si les promoteurs de l’huile de caméline vantent ses qualités nutritionnelles et gustatives, la vague d’amour pour l’achat local favorise aussi cette poussée de croissance.
« Les gens nous disent qu’au niveau environnemental, c’est gagnant, puisque les olives ne poussent pas chez nous et que l’huile fait des milliers de kilomètres avant d’arriver ici », explique Audrey Bouchard, directrice générale de la Ferme Tournevent, au Lac-Saint-Jean, qui produit plusieurs huiles biologiques.
« On sent l’engouement local, avec ce qui se passe au niveau canado-américain », poursuit-elle. Même si l’huile d’olive est importée d’Europe, en grande partie, ce regain porte aussi les huiles.
« J’entends de plus en plus souvent des gens nous dire qu’ils n’achètent plus d’huile d’olive, qu’ils n’achètent que des huiles locales », dit Audrey Bouchard.
FLAMBÉE DU PRIX DE L’HUILE D’OLIVE
Ça n’est pas la première fois que le prix de l’huile d’olive est poussé vers le haut parce que les récoltes ont été mauvaises dans les pays producteurs. Bien que le prix de l’huile d’olive ait baissé ces derniers mois, il demeure élevé en raison des sécheresses fréquentes dans certaines parties du globe – on pense aux pays qui bordent la Méditerranée comme la Tunisie, la Grèce ou l’Italie, et même l’Espagne, premier producteur mondial. Ce qui en fait un des aliments les plus contrefaits du monde, alors qu’on y ajoute des huiles moins chères pour faire un mélange.
Tournevent vient de doubler ses superficies d’entreposage et ses capacités de pressage à Hébertville afin d’élargir la production et la distribution. L’entreprise a ouvert un Économusée des huiliers l’année dernière qui offre un contact direct avec les consommateurs. Tout cela mis ensemble donne une augmentation de 126 % des ventes dans la dernière année, pour l’ensemble des huiles biologiques de Tournevent : chanvre, lin, caméline et autres.
Reste un défi : comparer le comparable. Car le monde des huiles est vaste et on retrouve des produits de toutes les qualités et de tous les prix.
« Quand on compare une huile de canola bio pressée à froid et une huile de canola désodorisé, ce n’est pas la même chose », prévient Audrey Bouchard.
Janel Laplante déplore aussi cette confusion. Le propriétaire de la Ferme Améroquois, rencontré à l’Expo Manger Santé et Vivre Vert la semaine dernière, produit de l’huile de tournesol. Si la demande pour son produit a connu une forte hausse en 2023, elle s’est ensuite résorbée. L’entrepreneur croit que l’achat d’huile de tournesol importée par les grandes chaînes y est pour beaucoup. « Ça coûte beaucoup moins cher, dit-il, et les consommateurs ne font pas la différence. »
« Le consommateur a trois secondes pour prendre sa décision devant l’allée des huiles », précise Guillaume Mathieu, d’Ilot. Et comme l’huile de caméline québécoise et les autres huiles locales se retrouvent noyées dans une mer d’huiles d’olive, elles peuvent passer inaperçues.
« Lorsque les détaillants vont voir que les bouteilles d’huile d’olive à 30 $ ou 35 $ vont coller sur les tablettes, peut-être qu’ils vont être tentés de donner plus de place à une huile de qualité, plus abordable », dit-il.
Selon cet observateur du monde alimentaire, la démocratisation de l’huile de caméline va passer par son utilisation publique par des gens d’influence. Des chefs et des chaînes. « Quand je parle de chaîne, je parle de restauration familiale », précise Guillaume Mathieu, qui suggère que l’on utilise une huile de caméline, par exemple, avec la salade. Et que cela soit écrit sur le menu.
